En quelques jours, ils ont envahi nos rues et s’amoncellent par paquets sous le regard scandalisé de nombreux passants. Mais à y regarder de plus près, la visibilité soudaine de nos déchets pourrait bien avoir son utilité (en dehors de celle liée à la lutte sociale dont elle découle).
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Un Français produit 350kg d'ordures ménagères par an
Ce spectacle peu ragoûtant rend palpable notre production fulgurante de déchets ménagers et donne à voir la partie immergée de l’iceberg que nous nous efforçons habituellement d’occulter. Nous avons évidemment entendu, ici et là, qu’un Français moyen produit pas loin de 350 kg d’ordures ménagères par an et que la quantité monte à 5 tonnes si nous incluons les déchets issus des entreprises, notamment de celles du BTP (le secteur le plus générateur de déchets) et de l’industrie, mais constater ce que cela représente sous nos yeux, en à peine deux semaines, donne de la substance à cette réalité. Rejeter la responsabilité de ces montagnes odorantes sur les éboueurs en grève ne résoudra rien au problème de fond qui est bien celui de ce que nous jetons.
La question de la gestion des déchets n’est pas nouvelle, elle est sans doute née avec la sédentarisation de l’espèce humaine et donnait déjà lieu à des embryons d’organisation collective dans les cités antiques. Nos poubelles reflètent nos modes de vie et nos structures de production, dans les villes très peuplées de notre société consumériste où tout est jetable, elles prennent nécessairement une autre dimension.
La France produit plus de 300 millions de tonnes de déchets par an, ce qui la situe dans la moyenne européenne, et bien que la prise de conscience sociale et politique sur la nécessité de réduire ces quantités se développe, le volume global de déchets continue de croître en même temps que la population.
Des actions envisagées sur "le trop long terme"
Des actions ont été mises en place, le tri sélectif notamment, qui fait désormais partie du quotidien des grandes villes, et des objectifs ont été fixés par les différentes lois qui se sont attaquées au sujet : la loi pour la croissance verte de 2015 prévoyait de réduire de 50 % la quantité de déchets mis en décharge à l’horizon 2025 ou de découpler progressivement la croissance économique et la consommation de matières premières. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire de 2020 fixait, elle, des objectifs nombreux comme sortir du plastique à usage unique, favoriser le vrac, la réparation, le réemploi, la valorisation des bio-déchets qui pèsent lourd dans nos poubelles alors qu’ils constituent une matière organique utile… Mais les dates fixées pour atteindre ces objectifs sont lointaines et pas toujours respectées.
En outre, seulement deux tiers des plastiques mis sur le marché sont recyclables, ce qui veut dire qu’un tiers ne l’est pas (soit à défaut de filière de recyclage constituée, soit en raison de la nature même du plastique) et continue pourtant d’être autorisé à la vente… Et ce qui est recyclable n’est pas pour autant intégralement recyclé… Nous continuons donc à exporter des masses de déchets (la mondialisation ayant gagné nos poubelles) plastiques, métallurgiques ou industriels, vers des États essentiellement situés en Asie qui n’ont pas toujours les moyens de les traiter. Des limites en matière de déchets dangereux ont été fixées par la convention de Bâle et l’Union européenne a pris la décision de restreindre les exportations hors pays de l’OCDE en 2021 peu après la décision de la Chine de ne plus en accueillir, ce qui constitue un progrès sans résoudre pleinement la situation.
Agir sur les filières de production
Concernant les déchets non ménagers que produisent les entreprises et qui représentent l’essentiel de nos déchets, le principe du pollueur-payeur a conduit à la mise en place de filières à responsabilité élargie du producteur (REP) qui imposent aux sociétés qui mettent des produits sur le marché d’en assurer également le traitement une fois ces produits en fin de vie. L’action sur les acteurs de la production est en effet la plus structurante en matière d’écologie et ces filières sont donc nécessaires mais elles demeurent très incomplètes : des secteurs entiers y échappent encore, comme le BTP, qui est pourtant le premier producteur de déchets (et qui devrait néanmoins créer sa filière REP prochainement).
Au niveau de la société, le vrac, le réemploi et le marché de l’occasion se développent mais selon une dynamique encore timide. Il reste donc un long chemin à parcourir pour changer la donne. La crise des déchets que nous vivons devrait nous inciter à réfléchir avant de nous jeter la prochaine fois sur une salade en sachet ou une énième paire de chaussures dont nous n’avons pas vraiment besoin. Ainsi, les monceaux de détritus qui ont peuplé nos journées ces derniers temps auront pu trouver une utilité inattendue.
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