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En proposant de rétablir une loi datant de 1803 pour interdire les prénoms de culture islamique ou étrangère, l’éditorialiste Éric Zemmour a créé une nouvelle fois la polémique. Outre le caractère xénophobe de cette mesure, ce qui fait réagir est l’idée même qu’il puisse y avoir une forme de contrôle étatique des prénoms alors que le champ de la définition de notre identité est perçu comme un espace primordial de liberté. Mais cela a-t-il toujours été le cas ? Que disent les prénoms de ce que nous sommes ?
Nommer c’est donner une identité, c’est donc sans doute l’acte premier de la définition d’un individu. Dans la société libérale dans laquelle nous évoluons, il nous apparaît évident que la responsabilité d’une telle définition revienne aux parents de l’enfant qui naît et qu’elle puisse s’exercer sans contrainte.
Les parents transmettent ainsi leur nom qui matérialise la lignée familiale et ils attribuent le prénom, l’élément qui singularise. Quand notre nom nous relie, notre prénom, le plus souvent, nous différencie. L’identité s’inscrit, en effet, toujours dans un double mouvement. Un mouvement de distinction : elle est ce qui nous rend unique, et un mouvement de lien : elle est aussi ce qui nous rend identique en nous associant à notre famille, à notre culture, à notre religion… C’est pour cela que le choix de nos prénoms et de nos noms n’échappe pas à des logiques culturelles, sociales et parfois politiques.
Longtemps, le choix des prénoms en France s’est inscrit dans la logique du lien
Longtemps, le choix du prénom, en France, s’est principalement inscrit dans la logique du lien à travers un fort ancrage religieux, les prénoms chrétiens étant très largement majoritaires, et à travers un ancrage familial important, via la transmission aux enfants des prénoms des grands-parents, du parrain, de la marraine ou d’un autre membre de la famille. Mais, avec la Révolution française et le développement d’une pensée anticléricale, la dimension politique s’est affirmée chez une partie de la population qui a voulu sortir des noms de baptême et donner à ses enfants des prénoms révolutionnaires. C’est pour contrer cette tendance naissante que Napoléon, alors consul, instaure la fameuse loi du 11 Germinal an XI en 1803, à laquelle Éric Zemmour se réfère, qui n’autorise plus que l’attribution de « noms en usage dans les différents calendriers et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne » et qui invite ceux dont le prénom ne se trouve pas compris dans cette désignation à en changer. S’instaure ainsi un contrôle étatique des prénoms visant à empêcher l’émergence d’identités véhiculant des valeurs potentiellement menaçantes pour l’ordre établi dans le contexte d’une société divisée à la suite de la période révolutionnaire et à un moment où Napoléon entend affirmer son pouvoir.
D’une façon différente mais significative, un contrôle très fort des prénoms s’est également établi dans les colonies françaises envers les esclaves dès les premiers temps de la traite négrière. A leur départ d’Afrique, les esclaves se voyaient presque systématiquement privés de leur nom africain (il pouvait parfois subsister oralement dans le cadre intime mais n’avait plus d’existence officielle), et du lignage qui pouvait y être associé, pour se voir imposer un nom catholique. Cette pratique poursuivait trois objectifs : l’affirmation pure et simple de la possession (un esclave pouvait ainsi être rebaptisé plusieurs fois s’il changeait de maître) ; une volonté de christianisation et d’acculturation des esclaves issus de cultures perçues comme inférieures ; et une nécessité administrative et fiscale pour la gestion des plantations puisqu’il fallait pouvoir répertorier et donc nommer chacun des esclaves.
Lorsqu’une esclave donnait naissance à un enfant sur une habitation, elle pouvait intervenir dans le choix du prénom mais le maître jouait un rôle central et les prénoms donnés étaient chrétiens. Les esclaves ne possédant pas de nom de famille, il arrivait que le prénom choisi soit celui du père en guise de reconnaissance filiale. Cette acculturation forcée a eu des effets durables puisqu’il n’existe plus de prénoms africains dans les sociétés créoles des Antilles en dehors des rares populations récemment immigrées ou d’un mouvement marginal de retour aux origines africaines.
La survivance tardive de règles d’un encadrement des prénoms
Si cette brutalité dans l’imposition d’une identité nouvelle concernait les esclaves, elle est emblématique d’une volonté plus large d’acculturation et de christianisation des populations étrangères qui a perduré en France tant sur le sol métropolitain que colonial jusqu’au milieu du XXème siècle et qui survit dans certains courants de pensée de droite. L’idée sous-jacente servant de socle idéologique à cette réflexion est que la survivance de prénoms issus d’autres cultures porterait atteinte à l’unité nationale en faisant exister, au sein de la société, des valeurs étrangères susceptibles de fracturer le corps social ou de diluer l’identité nationale. Le débat actuel concerne d’ailleurs assez peu les prénoms anglo-saxons, italiens ou allemands, pourtant répandus en France mais venus d’autres pays occidentaux pour se concentrer sur les prénoms arabo-musulmans ou africains issus des anciennes colonies et donc de cultures supposément moins compatibles avec la culture française.
Le principe d’un encadrement des prénoms a été accepté en France jusque tardivement puisque c’est en 1966 qu’une instruction ministérielle élargit les possibilités de choix de prénoms.
La volonté de contrôle des prénoms, symptôme de l'insécurité identitaire
En 1993, l’article 57 du code civil accorde aux parents la pleine liberté dans le choix des prénoms sous réserve qu’ils soient conformes à « l’intérêt de l’enfant » et qu’ils ne méconnaissent pas « le droit des tiers à voir protéger leur patronyme ». Cette évolution est sans doute l’un des marqueurs d’une société devenue libérale où chacun veut être en mesure de définir lui-même son identité et celle de ses enfants.
A travers son ouvrage « L’archipel français », Jérôme Fourquet, étudie les prénoms donnés en France ces dernières décennies et en tire des enseignements importants. Le premier est l’affaissement du catholicisme que l’on peut observer à travers l’usage du prénom Marie qui était donné à 20% des filles à la naissance en 1900 et qui n’est plus donné qu’à 1% des petites filles aujourd’hui. Le deuxième enseignement est la diversité grandissante de la société française et l’augmentation de la présence de l’islam dont l’un des indicateurs est la part de prénoms d’origine arabo-musulmane donnés à la naissance qui est passée de moins de 1% dans les années 60 à environ 18% ces dernières années. Ce chiffre est venu renforcer le discours de ceux qui dénoncent l’absence d’intégration de la part des personnes issues de l’immigration maghrébine. Deux visions de l’intégration s’affrontent : d’une part, celle qui soutient que l’intégration ne peut se faire qu’au prix de l’acculturation, de l’assimilation parfaite en renonçant au référentiel culturel de ses parents pour adopter pleinement celui de la culture française et, d’autre part, celle qui affirme que plusieurs référentiels culturels peuvent coexister et s’enrichir dans un processus vertueux.
La volonté d'instaurer l'interdiction de prénoms issus de cultures étrangères s'inscrit dans la logique assimilationniste et fait son retour dans un contexte d'insécurité culturelle grandissant. Cette tentative d'affirmation identitaire à travers les prénoms existe ou a existé dans de nombreux pays, toujours à des moments où le pouvoir politique ressentait le besoin de consolider l'identité nationale face à des identités régionales ou extérieures. C'est le cas de la Turquie qui a voulu "turquiser" les prénoms face aux Kurdes, comme de la Tunisie et du Maroc qui ont interdit les prénoms non arabes dans les années 60 et jusqu'à très récemment pour prohiber notamment les prénoms berbères.
Le régime nazi a également eu une politique spécifique des prénoms qui ne cherchait pas à assimiler mais, au contraire, à identifier et exclure les juifs. Ainsi, à partir de 1938, les juifs qui ne portaient pas un prénom qui leur était autorisé, c'est-à-dire un prénom yiddish rendant visible leur identité juive, durent adjoindre à leur prénom celui d'Israel pour les hommes et de Sara pour les femmes.
La multiplication des prénoms traduit la montée de l’individualisme
Si une peur de la dilution de l'identité française existe incontestablement en France, elle n'a pas entraîné un retour vers des prénoms classiques refuges, bien au contraire. Le phénomène le plus massif mis en évidence par Jérôme Fourquet dans son onomastique est la multiplication des prénoms : quand 2.000 prénoms étaient donnés en 1945, on en compte désormais 13.000 différents, avec de nombreux prénoms inventés chaque année ou empruntés à des séries étrangères.
C’est le signe d’une volonté farouche de différenciation. La logique du lien a cédé la place à la logique de la distinction dans le contexte d’une société où l’individu prime. Il devient impérieux de donner une identité unique à son enfant, ou à soi-même en changeant de prénom, et il serait désormais inconcevable de devoir se soumettre à un contrôle de l’État.
La liberté de choix n’est pas totale
La liberté en matière de prénoms n’est cependant pas totale. Les prénoms régionaux comportant des signes diacritiques inexistants dans la langue française comme le tilde ne peuvent toujours pas être enregistrés par les officiers d’état civil malgré plusieurs combats auprès des tribunaux et une tentative du Parlement de leur donner une existence légale. En effet, l’article 9 de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion prévoyait d’autoriser ces signes dans les actes d’état civil mais cet article a été censuré par le Conseil Constitutionnel au motif qu’il était contraire à l’article 2 de la Constitution qui stipule que « la langue de la République est le français », à la grande déception de certains parents catalans, basques ou bretons qui auraient voulu pouvoir appeler leurs enfants Llívia, Lluís, Núria ou Fañch et voir ainsi reconnaître leurs identités régionales au sein de la nation française.
La notion subjective « d’intérêt de l’enfant » donne également lieu à plusieurs batailles judiciaires. C’est le cas pour des prénoms faisant référence à une marque comme Nutella, des prénoms jugés originaux par l’officier d’état civil comme Fraise ou encore pour des prénoms sortis de leur usage habituel de genre. En 2017, un officier d’état civil a ainsi estimé qu’une petite fille ne pouvait pas être prénommée Liam car ce prénom est à connotation masculine. Même chose pour un petit garçon appelé Ambre en 2018. Il est probable que le courant d’affirmation de nouvelles identités « non genrées » se traduise par l’attribution de prénoms habituellement féminins à des garçons et inversement, ce qui sera peut-être un enjeu législatif et judiciaire des années qui viennent.
Nos noms de famille évoluent aussi
Bien que plus contraints, les noms de familles ont également des implications politiques et sociales. Ainsi, la transmission du patronyme (le nom du père) a été la norme pendant plusieurs siècles, symbole d’une société patriarcale. Le matronyme était transmis aux enfants illégitimes, non reconnus par le père, aux « bâtards ».
Le mouvement féministe et la volonté d’une plus grande égalité entre les hommes et les femmes a donc engendré une transformation de la transmission du nom avec une part grandissante d’enfants qui portent désormais les noms de leurs deux parents.
Depuis 2011, un mari peut également porter le nom de sa femme. Possibilité qui n’a été consacrée qu’en 2013 dans le code civil à travers son article 225-1 créé par la loi instituant le mariage pour tous et qui stipule que « chacun des époux peut, à titre, d’usage, porter le nom de l’autre époux ».
Affirmation individuelle de notre identité, le choix de nos prénoms et de nos noms dit donc en même temps toujours quelque chose, consciemment ou inconsciemment, sur l’évolution de notre société. La société française est aujourd'hui libérale, individualiste et cosmopolite. Le retour d'un contrôle des prénoms paraît bien improbable et ne changera pas cette tendance de fond.
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