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Être femme et courir : il y a 40 ans, je n’aurais pas eu le droit de faire le marathon

Julie Trassard-Donatien

Dernière mise à jour : 7 avr. 2023

C’est en regardant les résultats du marathon de Paris, dimanche dernier, qu’une réalité que je n’avais jamais perçue m’a éclaté à la figure: sur les 52 078 participants, nous n’étions qu’un peu plus de 13 000 femmes, soit à peine un quart du peloton, une tendance qui se retrouve sur tous les marathons. Pourtant, les femmes adeptes de course à pied sont nombreuses et, dans les courses organisées sur des courtes distances (10KM), elles sont souvent majoritaires. Alors pourquoi disparaissent-elles quand le kilométrage augmente?


Courir a longtemps été mal perçu chez les femmes, il leur était même interdit de participer à des courses dont la distance était supérieure à 1500m jusque dans les années 70 et il a fallu attendre les Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, il n’y a même pas 40 ans, pour que les femmes soient admises dans les marathons olympiques, et ce, après une longue mobilisation d'une partie d'entre elles. Autrement dit, ma mère a grandi dans une société où il ne lui était pas permis de courir le marathon.


Les arguments étaient de différents ordres : la première série tournait autour de l’incapacité supposée des femmes à tenir sur une telle distance, preuves pseudo-scientifiques à l’appui, elles risquaient d’en sortir abîmées, voire d’en mourir, il convenait donc de les protéger. La deuxième série ciblait plus précisément les fonctions reproductives, comme c’est systématiquement le cas dès qu’il s’agit du corps des femmes: elles deviendraient infertiles, leur utérus pourrait se décrocher, certains allaient même jusqu’à dire qu’elles se transformeraient en hommes par un jeu hormonal un peu étrange ou que les poils leur pousseraient sur le corps. La dernière série d’arguments se situait dans le champ de la convenance : une femme qui court "ce n’est pas beau", "ce n'est pas digne", qu’elle se contente de la danse ou de la gymnastique.


Les premières marathoniennes ont donc eu recours à des stratagèmes (souvent aidées par leurs compagnons, il faut le dire) pour prendre part aux compétitions, comme le montre le documentaire «Free to run» de Pierre Morath. La plus célèbre est Kathrine Switzer qui a participé au marathon de Boston en 1967, cinq ans avant qu’il soit ouvert aux femmes. Elle avait utilisé les simples initiales de son prénom pour s’inscrire et avait dû essuyer un flot d’insultes et de quolibets tout au long du parcours. Repérée parmi les coureurs peu après le départ, elle a poursuivi la course malgré l'assaut de l'organisateur qui a tenté de lui arracher son dossard. Elles sont plusieurs à avoir ainsi courageusement ouvert la voie et prouvé qu’une femme pouvait courir aussi longtemps qu’un homme. La grande violence des réactions qu’elles ont suscitées interroge.


Kathrine Switzer au marathon de Boston - 1967

Une femme qui court s’affranchit de l’imaginaire de fragilité dans lequel on souhaite la circonscrire, imaginaire parfaitement décrit par la journaliste Mona Chollet dans son livre «Réinventer l’amour». La femme doit refléter cette faiblesse jusque dans son apparence physique et les critères de la beauté dite féminine en sont autant de manifestations : minceur, gracilité, douceur, petitesse, absence de muscles, chaussures à talons etc… Il apparaît évident que la figure de la coureuse, tous muscles dehors, ne cadre pas avec cet idéal. Sans compter que la pratique de la course se fait généralement sur la voie publique, le corps se trouvant ainsi exposé aux regards des passants, ce qui n’était pas concevable dans la France d’une grande partie du XXème siècle et qui ne l’est toujours pas, aujourd’hui, dans de nombreux pays.


Cette image a heureusement évolué avec la démocratisation de la course chez les femmes. Si le marketing moderne a même fait de la « runneuse » un symbole fort de l’empuissantement féminin, le spectre de la joggeuse susceptible d’être enlevée au détour d’un chemin est toujours bien réel et, avec lui, l’idée qu’une femme coureuse s’expose, éveillant le désir et se mettant potentiellement en danger.


Ce qui demeure aussi, au regard des taux de participation au marathon, c’est une incorporation par les femmes elles-mêmes de cette idée qu’elles ne seraient pas capables d’aller au bout d’une longue distance, sinon elles seraient bien plus nombreuses à s’inscrire. Il est probable aussi qu’il soit plus difficile pour elles de mener de front la préparation qu’exige une telle épreuve en même temps que la charge de la vie familiale et professionnelle.


D’année en année, elles sont quand même de plus en plus nombreuses à le faire mais l’évolution reste timide. Les marques et les organisateurs de courses tentent de soutenir la dynamique car ils savent que les femmes constituent une importante réserve d’adeptes. L’an prochain, le parcours du marathon olympique de Paris fera d'ailleurs référence à la Révolution française et rendra explicitement hommage à la marche des femmes sur Versailles du 5 octobre 1789. Si des milliers de passionnés pourront prendre place pour courir derrière les champions olympiques, le tirage au sort qui permet de les sélectionner ne comporte pas de critères de genre, il n’est ainsi pas sûr qu’il conduise à renverser la tendance très masculine de cette épreuve.


J’invite donc les amatrices de course à tenter massivement leur chance, pour l’amour de cette discipline, bien sûr, mais aussi pour le mouvement de liberté qu’elle représente pour nous toutes.







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